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Lettre d’information n°4 Peuples Autochtones : Evolution statutaire en Guyane et référendum en Nouvelle Calédonie

3. Peuples Autochtones| Views: 1015

Lancée par Alexis Tiouka, juriste amérindien de Guyane, la newsletter compte parmi ses rédacteurs Marion Veber et Leandro Varison de France Libertés et Marine Calmet de l’association Nature Rights. L’ambition est de diffuser, de manière horizontale, les actualités liées au respect des droits des Peuples Autochtones de Guyane.

La newsletter est née d’une conviction, celle qu’il est nécessaire aujourd’hui d’encourager la circulation des informations relatives aux droits des peuples autochtones. Pour cela, elle s’appuie sur des expertises qui clarifient les enjeux relevant des revendications des peuples autochtones dans le but d’éclairer les prises de décision autour de ces sujets. A terme, nous espérons que cette démarche aboutira à la création d’un réseau juridique et associatif large, et, ainsi, au renforcement des connaissances juridiques des communautés et individus autochtones.

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SOMMAIRE

La Guyane, un avenir… deux projets et un enjeu de taille pour la reconnaissance des droits des Peuples autochtones

Interview de Raphaël Mapou, militant indépendantiste et activiste pour les droits du Peuple autochtone kanak

 

LA GUYANE, UN AVENIR… DEUX PROJETS ET UN ENJEU DE TAILLE POUR LA RECONNAISSANCE DES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES

Historique

En cette fin d’année 2018, la question de l’évolution statutaire est revenue sur le devant de la scène. En effet, l’accord de Guyane, signé à la suite des mobilisations de mars-avril 2017 prévoit que le Gouvernement sera saisi par le Congrès des élus de Guyane d’un projet de changement de statut dans le cadre de l’article 72-4, alinéa 2 de la Constitution française. Le gouvernement aura alors la tâche d’organiser une consultation populaire pour connaître la position des Guyanais sur l’évolution statutaire.

Suite à la signature de l’accord de Guyane, le Congrès des élus a organisé des États Généraux destinés à consulter les Guyanais et à regrouper leurs revendications, dans ce qui a été par la suite dénommé “le Livre Blanc” porté par la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG). Dans le cadre des travaux sur l’évolution statutaire, la CTG défend une réforme “institutionnelle”, par le biais de l’adoption d’une « Loi Guyane » qui permettrait de transférer des compétences particulières à la collectivité sans pour autant modifier le statut du territoire.

Evolution institutionnelle ou statutaire, la question est ouverte

Mais ce Livre blanc n’est qu’un des deux projets qui ont été présentés au Congrès organisé le 27 novembre dernier.

En effet, de son côté, le Front Guyanais, ou « Front pour un changement statutaire », un collectif de plusieurs associations, dont Tròp Violans et les 500 Frères, né de la crise sociale de 2017, propose le “Projet Guyane 2018”. Ce projet de changement de statut, reprend le Projet d’accord relatif à l’avenir de la Guyane adopté par le Congrès le 29 juin 2001 et s’inscrit par la suite dans l’accord de Cayenne de 2017.

Ces deux projets se différencient sur la forme. Contrairement à la CTG, le Front Guyanais est en faveur d’un changement de statut, comme le prévoit l’article 72-4 de la Constitution afin de revoir l’organisation de l’administration territoriale de la Guyane, par le biais de la création d’une assemblée compétente pour adopter des “lois pays”, d’un organe exécutif et d’un redécoupage du territoire en “districts”. La Guyane est actuellement régie par l’article 73 de la Constitution.

Sur le fond, on retrouve de nombreuses propositions similaires entre les projets portés par la CTG et par le Front guyanais, visant à étendre la compétence du territoire sur la gestion de son foncier, de ses ressources naturelles ainsi que sur la maîtrise de ses politiques régionales notamment en matière d’énergie, d’enseignement ou encore de culture.

Les enjeux pour le respect des droits des Peuples Autochtones de Guyane

L’assemblée plénière de la CTG du 10 décembre, a désigné une commission ad hoc, composée de 33 membres qui sera chargée d’élaborer un projet pour la Guyane. Au sein de cette commission, deux représentants du Grand conseil coutumier représenteront les intérêts des nations amérindiennes.

Durant les travaux à venir, il sera intéressant d’observer la place de la question des Peuples Autochtones. Car le Grand Conseil Coutumier des populations amérindiennes et bushinenges, reste pour le moment cantonné à un rôle purement consultatif et les propositions formulées par la CTG et par le Front Guyanais ne prévoient pas de propositions concrètes pour renforcer le poids des représentants autochtones et des institutions dédiées (Grand Conseil coutumier, Établissement public de coopération culturelle et environnementale, Office foncier amérindien) dans le processus de décision et d’administration du territoire.

Faire progresser l’application des principes de la Convention 169 de l’OIT

Pourtant, les travaux actuels sur l’évolution du statut de la Guyane pourraient être un moment clef pour avoir une approche nouvelle. La convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) prévoit le devoir de consulter les Peuples Autochtones et leur droit de participer à la prise de décision sur les questions qui les concernent. Ce texte pourrait fournir une base de réflexion solide pour rétablir un équilibre entre la simple consultation sur saisine du Grand Conseil Coutumier et la compétence pour cette institution de participer pleinement à l’élaboration d’une politique respectueuse des intérêts spécifiques aux premières nations.

Dans le cadre de l’évolution statutaire, un nouveau partage des compétences pourrait être proposé pour permettre au Conseil coutumier d’être véritablement en capacité de traiter les affaires touchant les “intérêts juridiques, économiques, sociaux, culturels, éducatifs et environnementaux” des Amérindiens, comme le prévoit la loi Égalité réelle Outre mer.

Le foncier, un enjeu de taille à l’échelle des discussions

Pour la CTG comme pour le Front guyanais, les propositions font état d’une volonté de voir l’ensemble du domaine foncier de l’Etat transféré à la collectivité de Guyane et aux communes. A cet égard, il est important de rappeler l’engagement de l’Etat dans l’accord de Cayenne du 2 avril 2017 et qui prévoit la restitution de 400.000ha aux Peuples autochtones de Guyane et la création d’un office foncier amérindien dédié.

La question foncière est essentielle et il s’agirait donc de respecter les engagements de l’Etat dans le cadre des travaux sur l’évolution statutaire en ré-introduisant ces obligations vis-à-vis des Peuples Autochtones au sein du document de travail de la commission ad hoc, afin de ne pas revenir en arrière ou de contredire les promesses faites.

Le calendrier de travail de la commission ad hoc n’est pas encore défini. C’est sur le texte issu de cette collaboration que la CTG devra soumettre un projet d’évolution statutaire au Premier ministre qui prendra la décision de consulter les électeurs de Guyane.

 

Voir aussi :
Situation des peuples autochtones de Guyane” : Retrouvez la question écrite n° 07564 de Mme Esther Benbassa (Paris – CRCE) à la ministre des Outre-mer, publiée dans le JO Sénat du 1er novembre 2018.

 

INTERVIEW DE RAPHAËL MAPOU, MILITANT INDÉPENDANTISTE ET ACTIVISTE POUR LES DROITS DU PEUPLE AUTOCHTONE KANAK

Je m’appelle Raphaël Mapou, militant indépendantiste depuis la fin des années 1970, je me suis totalement investi depuis la signature en 1998 de l’accord de Nouméa, dans le combat autochtone et la reconnaissance des droits du peuple kanak, afin de vraiment donner du sens au nationalisme kanak et de concrétiser les attentes du peuple autochtone kanak.

Je suis secrétaire général du comité Rhéébù Nùù, comité autochtone défenseur du patrimoine environnemental kanak du grand sud de la grand-terre. Ce comité a été crée en 2002 pour porter la parole des chefferies kanak impactées directement par le projet d’usine hydro métallurgique de nickel porté par la multinationale canadienne INCO et repris en 2007, par la société brésilienne VALE. Ce comité, après une lutte menée sur le terrain et devant les tribunaux, après l’exigence de contre-expertise menée par des experts internationaux sur les questions environnementales, a réussi – et, malgré l’opposition des partis indépendantistes du FLNKS- à négocier la mise en place d’un pacte pour le développement durable du Grand sud liant, les chefferies autochtones, le comité Rhéébù Nùù et la multinationale Vale.

S’agissant du référendum du 4 novembre 2018, il ouvre après les 20 années du processus dit de décolonisation, une période transitoire qui peut durer 2 à 4 années voire plus, si l’on s’en tient à la lettre et à l’esprit de l’accord de Nouméa, lequel est basé sur l’irréversibilité du dit processus de décolonisation. Un deuxième référendum devrait être déclenché à partir de 2020 par un tiers des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie élus aux élections de mai 2019 puis un troisième si le NON continue de l’emporter.

Ce référendum qui s’est déroulé dans un climat serein avec une forte mobilisation de l’électorat kanak et Calédonien, a pêché sur la question du corps électoral spécial appelé à voter à ce scrutin spécial. En effet, les modifications apportées par la loi organique du 15 avril 2018, ont introduit de nouveaux critères d’admissibilité qui n’ont pas joué en faveur du vote pour l’indépendance. Cela se traduit par une régression anormale de l’électorat kanak en pourcentage : 46,87 % en 2014 et 44,93% en 2018.

Malgré cela, le vote indépendantiste a porté sur 43,7 % et le vote loyaliste sur 57,3%, ce qui signifie qu’environ 70 % des électeurs kanak inscrits votent pour l’indépendance soit 80% des votants kanak.

C’est une grande victoire pour le peuple autochtone kanak, qui ne s’est pas laissé prendre par la politique d’assimilation développée à coup de milliards durant les trente dernières années par l’Etat français et les institutions républicaines. Malgré cette politique et le fait que près de 60% de la population est née après la guerre civile de 1984-1988, la jeunesse kanak a démontré qu’elle restait attachée à son identité, à sa terre et à la libération de son pays.

Le bilan de l’accord de Nouméa du point de vue de la reconnaissance des droits autochtones reste mitigé car ce que les élus indépendantistes et loyalistes ont privilégié dans les politiques publiques engagées depuis le début des accords, porte sur les infrastructures et les services publics. De ce point de vue le rééquilibrage est atteint. En revanche cela ne s’est pas du tout traduit en ce qui concerne, la formation des kanak et leur prise de responsabilité. Cela ne l’est pas non plus en ce qui concerne la prise en compte de la légitimité coutumière et la reconnaissance des chefferies dans la gouvernance des territoires et de la gestion des hommes. Cela ne l’est pas plus en ce qui concerne, la mise en place de politiques publiques dédiées au développement des terres coutumières et des outils autonomes nécessaires à l’Identité kanak. Au niveau des lois du pays, seules deux lois du pays sur le droit coutumier ont été votées, malgré les nombreuses propositions du sénat coutumier qui n’ont pas été étudiées par les élus.

Dans tout processus de décolonisation, la question essentielle est celle de la prise en compte du peuple premier et de ses droits sur ces terres, ces ressources et espaces naturels, sur la transmission et le respect de sa culture et de sa vision de la société. Dans le cadre du modèle étatique français, ce qui pose problème c’est son caractère assimilationniste. Le droit à la différence est reconnu mais dans le cadre du système ou modèle français et de la promotion des droits de l’homme individualiste et de la propriété privée. Ainsi, le mur culturel et sociétal du modèle étatique français dressé depuis la prise de possession en 1853, tend systématiquement à réduire en folklores et en caricatures le mode de vie et les actions des populations autochtones.

Cette confrontation permanente auquel est soumis un peuple autochtone avec son système collectif millénaire, a conduit le peuple kanak à définir et à transcrire le socle commun des valeurs et des principes fondamentaux de la civilisation kanak. L’intérêt de cette Charte du Peuple Kanak est de donner une base unitaire, aux huit différentes aires coutumières et de définir ce qui est commun dans le système coutumier du peuple mélanésien kanak mais sans que cela soit une loi, pour éviter de figer la coutume par l’écriture. Sur le plan du droit, la Charte du peuple kanak a la même fonction dans sa conception aux droits de l’Homme et du citoyen. Elle irrigue la société kanak mais également la société Calédonienne en général. Elle devrait permettre de dialoguer à égalité avec le modèle français ou occidental pour asseoir une société reconnaissant les droits collectifs du peuple premier et la diversité des droits individuels et citoyens.

Raphaël Mapou a soutenu cette année une thèse de doctorat en droit, à l’Université de la Nouvelle-Calédonie : “analyse dialectique des transformations du droit en Nouvelle-Calédonie : l’Etat colonial républicain face aux institutions juridiques kanak”.

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