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Lettre d’information n°3 – Reconnaissance des droits des Peuples Autochtones, la saisine du Conseil d’Etat

3. Peuples Autochtones| Views: 987

L’ambition de cette newsletter est de diffuser, de manière horizontale, les actualités liées au respect des droits des Peuples Autochtones de Guyane. Pour cela, elle s’appuie sur des expertises qui clarifient les enjeux relevant des revendications des Peuples Autochtones dans le but d’éclairer les prises de décision autour de ces sujets. Cette initiative est née d’une conviction, celle qu’il est nécessaire aujourd’hui d’encourager la circulation de ces informations. A terme, nous espérons que cette démarche aboutira à la création d’un réseau juridique et associatif large, et, ainsi, au renforcement des connaissances juridiques des communautés et individus autochtones.

Cette lettre d’information a été lancée par Alexis Tiouka, juriste amérindien de Guyane, et compte parmi ses rédacteurs Marion Veber (Fondation France Libertés), Leandro Varison (Fondation France Libertés) et Marine Calmet (association NatureRights).

Pour toute demande d’information, contactez-nous par email à l’adresse lettreinfo.peuplesautochtones@gmail.com

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SOMMAIRE

RECONNAISSANCE DES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES : LA SAISINE DU CONSEIL D’ETAT

L’EXAMEN PÉRIODIQUE UNIVERSEL (EPU) : UN MÉCANISME DE L’ONU INTÉRESSANT POUR LES PEUPLES AUTOCHTONES

L’ETABLISSEMENT PUBLIC DE COOPÉRATION CULTURELLE ET ENVIRONNEMENTALE

QU’EST CE QUE LA BIOPIRATERIE : LE CAS DE LA STEVIA

 

RECONNAISSANCE DES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES : LA SAISINE DU CONSEIL D’ETAT

Le cabinet de Ministre des Outre-Mer a récemment fait savoir que le Conseil d’Etat avait été saisi en décembre 2017, de la question des droits des Peuples Autochtones. Cette saisine fait suite à l’engagement n°16 de l’Accord de Cayenne signé le 2 avril 2017 par Mme Ericka Bareigts et les représentants des organisations autochtones.

Pour rappel, cet engagement prévoyait que la Ministre des Outre-Mer saisirait le Conseil d’Etat sur la constitutionnalité de l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Dans la recommandation n°5, issue du rapport L’effectivité des droits de l’Homme dans les Outre-Mer, la CNCDH réaffirme qu’en vertu du droit international des droits de l’Homme, les droits peuvent être à la fois exercés de manière individuelle et collective. La CNCDH recommande à l’Etat français de reconnaître les droits collectifs relatifs aux peuples autochtones, vecteur essentiel d’une protection effective de l’ensemble de leurs droits fondamentaux, et cite le Préambule de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones :

« les Peuples Autochtones ont des droits collectifs qui sont indispensables à leur existence, à leur bien-être et à leur développement intégral en tant que peuples ».

Le Gouvernement peut consulter le Conseil d’État sur une question qui soulève un problème juridique particulier afin qu’il l’éclaire. L’avis rendu par le Conseil d’Etat est simplement consultatif : le Gouvernement peut l’accepter ou le refuser.

En l’occurrence, le Conseil d’Etat donnera son avis sur la compatibilité de la Constitution replica uhren française avec la reconnaissance des droits individuels et collectifs des Peuples Autochtones. Rappelons que la France s’est jusqu’ici opposée à cette reconnaissance, en raison de l’impossibilité selon elle, de concilier celleci avec le principe d’indivisibilité de la République (2).

Un avis favorable du Conseil d’Etat aurait pour effet de remettre en question cette analyse et pourrait conduire l’Etat français à revoir la possibilité de finalement ratifier la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail relative aux peuples indigènes et tribaux (1989). Il s’agirait d’un pas en avant considérable pour les droits des Peuples Autochtones en France.

 

L’EXAMEN PÉRIODIQUE UNIVERSEL (EPU) : UN MÉCANISME DE L’ONU INTÉRESSANT POUR LES PEUPLES AUTOCHTONES

A/ L’EPU : l’évaluation de la situation des droits humains de son État

L’Examen périodique universel est un mécanisme du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU pour examiner le respect ou non des obligations en matière de droits humains incombant à chacun des 193 Etats membres de l’ONU. Concrètement depuis 2006, chaque Etat est examiné tous les quatre ans et demi par 47 autres Etats (les membres du Conseil des droits de l’Homme) à Genève. L’occasion de faire un état des lieux régulièrement de la situation dans chaque pays et de formuler des recommandations pour une amélioration des situations nationales.

C’est l’occasion pour les peuples autochtones de s’impliquer dans ce processus pour faire connaître leur analyse quant au respect des engagements de leur État concernant leurs droits. C’est une opportunité pour donner à voir des manquements de l’Etat et de formuler des recommandations concrètes. L’EPU est donc une chance pour les autochtones d’attirer l’attention de son État sur leur situation mais aussi plus globalement de la communauté internationale et des médias de par l’importance de ce mécanisme onusien.

B/ Moyens de participation pour les peuples autochtones

1) Durant la phase de préparation des informations qui serviront de base à l’examen

L’examen périodique universel repose sur trois rapports :

La participation autochtone est possible dès cette première phase de préparation des contenus qui serviront de base ensuite à l’examen du pays. C’est une étape primordiale. C’est l’occasion pour les peuples autochtones de faire un focus sur leur situation spécifique et du respect de leurs droits.

Concrètement, il suffit d’envoyer un document écrit (un certain format est à respecter) dans les délais impartis via le Système d’enregistrement des contributions en ligne de l’EPU : https://uprdoc.ohchr.org. Le document peut être formulé par une seule structure ou plusieurs.

2) Durant l’examen de l’Etat par le Groupe de travail sur l’EPU à Genève

Le temps de parole total dont dispose le pays examiné durant tout l’examen est de 70 minutes. Les autres États ont 140 minutes. A la fin de la session qui dure 3h30, un rapport est adopté contenant des recommandations, des conclusions et des engagements volontaires

Les ONG (uniquement celles disposant d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) peuvent observer les débats sans faire de déclarations orales.

Les ONG accréditées peuvent organiser des Réunions d’information sur le processus de l’EPU pour éclairer la situation des droits humains. Il est vivement recommandé aux organisateurs d’informer l’État soumis à l’examen voire de l’impliquer. Il suffit de demander une salle dans les délais impartis (minimum deux semaines avant l’examen).

Si votre structure n’a pas le statut consultatif auprès de l’ONU, vous pouvez demander à une ONG détenant ce statut de vous accréditer afin de pouvoir tout de même observer les débats. Vous pouvez également faire alliance avec une ou plusieurs ONG détenant un statut consultatif pour organiser une réunion d’information.

Les sessions du Groupe de travail sur l’EPU sont retransmises en direct. Les retransmissions des sessions déjà passées sont accessibles sur le site du HCDH.

3) Durant la session ordinaire du Conseil des Droits de l’Homme

Le Conseil des droits de l’Homme, lors de ses sessions ordinaires qui ont lieu trois fois par an, tient une séance d’1h durant laquelle le document final de l’EPU est adopté.

Seules les ONG dotées du statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) peuvent être accréditées pour participer à la session plénière du Conseil des droits de l’homme en tant qu’observateurs. Si votre structure n’a pas le statut consultatif auprès de l’ONU, vous pouvez demander à une ONG détenant ce statut de vous accréditer afin de pouvoir tout de même observer les débats.

La possibilité de participation est ici assez importante et permet donc aux organisations autochtones d’une fois encore donner leur propre analyse de la situation des droits humains sur le territoire national qui les concerne.

Les sessions consacrées à l’adoption des documents finaux de l’EPU sont retransmises en direct. Toutes les retransmissions sont archivées sous la page Pays EPU de l’État concerné.

4) Suivi et mise en œuvre du document final

Les peuples autochtones peuvent surveiller la mise en œuvre des recommandations issues du rapport final adopté. Cela permet ainsi préparer leur analyse en vue du prochain EPU de leur Etat au vu des avancées ou au contraire de la non mise en application des recommandations.

Pour aller plus loin :

Guide pratique pour la société civile. Examen périodique universel : https://www.ohchr.org/Documents/AboutUs/CivilSociety/Universal_Periodic_Review_FRE.pdf

Dans la prochaine lettre d’information, nous analyserons l’EPU de la France qui a eu lieu en juin 2018 au regard de la question autochtone en France.

 

 

L’ETABLISSEMENT PUBLIC DE COOPÉRATION CULTURELLE ET ENVIRONNEMENTALE

Jusqu’à début 2017, les peuples autochtones de Guyane étaient représentés auprès de l’État français par le Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenges. La loi EROM (n° 2017-256 du 28 février 2017) l’a remplacé par le Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges (GCC). Celui-ci garde toutes les compétences de l’ancien Conseil consultatif sauf une : obtenir le consentement des communautés pour l’accès et pour l’utilisation des savoirs traditionnels, et négocier le partage des avantages découlant de l’utilisation de ces savoirs. Il s’agit de ce qu’on appelle usuellement APA : Accès aux savoirs traditionnels et partage des avantages découlant de leur utilisation.

La compétence pour l’APA en Guyane a été attribuée à un établissement public de coopération culturelle et environnementale (EPCCE) (3). Celui-ci sera créé à la demande du GCC.

Cependant, l’EPCCE peut être un danger pour les intérêts des peuples autochtones.

L’établissement public de coopération culturelle et environnementale : un enjeu de représentativité

L’EPCCE sera compétent pour:

  •  négocier l’accès aux savoirs traditionnels
  • rechercher un compromis pour le partage des avantages
  • signer le contrat entre l’utilisateur des savoirs traditionnels et la communauté qui les détient
  • gérer les biens provenant de ce contrat.

Ceci soulève deux problèmes majeurs :

1) Contrairement au Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges (GCC), où seulement deux places peuvent être occupées par des non-autochtones ou non-bushinenges (appelés « personnalités qualifiées »), la composition de l’EPCCE sera majoritairement non-autochtone puisque seulement un tiers des places sont réservées aux autochtones et bushinenges (4).

Avant la loi EROM, la gestion des savoirs traditionnels revenait au Conseil consultatif :

Après la loi EROM :

Cela veut dire qu’un organisme composé majoritairement de non-autochtones, et qui en plus n’a pas été pensé pour être adapté aux cultures et valeurs autochtones, sera responsable d’organiser les procédures de consultation des communautés lorsqu’un tiers voudra accéder à leurs savoirs traditionnels.

Il est important de rappeler que la protection des savoirs traditionnels, et la consultation des communautés pour accéder et utiliser ces savoirs, doivent respecter la culture, les valeurs et la volonté des communautés concernées. Vu l’organisation de l’EPCCE, ainsi que le manque total de références aux droits autochtones dans la législation qui règle son fonctionnement, il est fort probable que, à part les représentants autochtones qui y siègent, la plupart de membres de l’établissement seront ignorants des intérêts et valeurs des peuples autochtones de Guyane.

Il est important que la défense et la gestion des savoirs traditionnels soit faite par les intéressés euxmêmes, sans l’ingérence de la Collectivité territoriale de Guyane ou de l’État français.

2) La Loi EROM, en donnant la compétence à l’EPCCE pour réaliser la procédure APA, a aussi prévu que cet établissement utilisera, pour son fonctionnement, les ressources obtenues avec les contrats APA (5). Concrètement : si une entreprise souhaite accéder et utiliser des connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques, et prévoit une rémunération en échange, l’argent n’ira pas à la communauté détentrice des savoirs, mais sera utilisé pour le fonctionnement de l’EPCCE.

La pratique courante dans la plupart des pays veut que la personne intéressée par un savoir traditionnel ait à sa charge les coûts liés à la consultation de la communauté détentrice de ce savoir. Or, la loi EROM va dans le sens contraire, en imposant aux communautés bushinenges et autochtones le payement pour leur propre consultation ! Les contreparties financières en échange de l’accès ou utilisation des savoirs traditionnels, n’iront pas aux communautés qui sont à l’origine de ces savoirs mais seront utilisées pour le fonctionnement de l’établissement public.

 

QU’EST CE QUE LA BIOPIRATERIE : LE CAS DE LA STEVIA

La stévia est devenue un produit phare du 21e siècle en raison de ses propriétés sucrantes mais sans calories. La stévia est présentée comme la dernière grande nouveauté en matière d’édulcorants. De plus en plus de produits contenant de la stévia arrivent sur le marché.

© K. Hutter (photo extraite du rapport Stévia, une douceur au goût amer)

Les vertus de cette plante miracle sont pourtant connues et utilisées depuis des siècles par le peuple autochtone Guarani. Les communautés Guarani-Kaoiwa du Brésil et Paî Tavyterâ du Paraguay connaissent depuis fort longtemps les propriétés sucrantes des feuilles de Stevia, qu’ils appellent Kaa he’e (herbe sucrée). Les Guaranis adoucissent le thé maté avec ces feuilles et en font des gâteaux. Ils lui reconnaissent aussi diverses propriétés médicinales (prévention des caries, aide à la digestion, stimulation intellectuelle…).. Ils utilisent également la plante dans leurs cérémonies sacrées. C’est de ce savoir traditionnel sur la plante Stevia que découlent toutes les utilisations actuelles de la Stévia.

Les conventions internationales reconnaissent que les détenteurs de savoirs traditionnels doivent donner leur consentement pour l’utilisation de leurs savoirs et qu’ils ont le droit à un partage juste et équitable des avantages découlant de l’usage commercial des connaissances qu’ils ont développées.

Contrairement aux dispositions de ces conventions internationales, les Guaranis qui ont découvert les vertus sucrantes de cette plante, ne bénéficient pas des retombées économiques de leur savoir ancestral. Il s’agit ici d’un cas de biopiraterie.

En revanche, plusieurs entreprises (Coca-Cola, Pepsi, Casino, Carrefour, Nestlé, etc.), utilisent les connaissances traditionnelles des autochtones guaranis pour réaliser des profits. Aucune entreprise ne remet en cause le fait que le savoir traditionnel vient des Guaranis. Pourtant aucune d’elles n’a demandé leur consentement pour l’utilisation de leur savoir et aucun bénéfice ne sont partagés avec eux. Les entreprises se placent au-dessus du droit.

Les multinationales doivent cesser de violer les droits fondamentaux des peuples autochtones. Les entreprises utilisant les propriétés sucrantes de la Stévia devraient entrer immédiatement en négociation avec les Guaranis pour trouver un accord juste et équitable de partage des avantages perçus grâce aux produits édulcorés à base de Stévia.

Ce cas concret de biopiraterie nous montre à quel point il est fondamental de renforcer le cadre juridique protégeant les savoirs autochtones.

Les 3, 4 et 5 août 2016, dans un lieu sacré situé dans le département d’Amambay (Paraguay), à proximité de la frontière avec le Brésil, les peuples Paî Tavyterâ et Kaiowa, représentés par plus de 100 dirigeants et autres membres des communautés, se sont réunis pour réfléchir autour du cas de biopiraterie de la Stévia. Les discussions ont abouti à l’adoption d’une déclaration. Ils dénoncent « l’usurpation de [leurs] savoirs et de la biodiversité par des entreprises multinationales qui utilisent, commercialisent et tirent profit de la plante ka ́a he ́ê sans que les peuples Paî Tavyterâ et Kaiowa, auxquels elle appartient en réalité, n’aient été consultés ». Ils exigent par conséquent « la restitution de [leurs] droits pour l’utilisation de leurs connaissances relatives à la Stevia rebaudiana au travers du partage des avantages ».

Déclaration extraite du rapport « Stevia : vers un partage des avantages »

VIDEO RESUMANT LE CAS DE BIOPIRATERIE DE LA STEVIA : https://www.francelibertes.org/fr/video/share-stevia/

 

Notes :

(1) La place des Peuples Autochtones dans les territoires ultramarins français : la situation des Kanak de Nouvelle Calédonie et des Amérindiens de Guyane, avis de la CNCDH du 23 février 2017, page 39.

(2) Article Premier de la Constitution du 4 octobre 1958 : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale

(3)  Art. L. 7124-19 de la Loi EROM et art. L. 412-10 du code de l’environnement (modifié par la Loi EROM)

(4) Loi EROM, art. 78: « Art. L. 7124-22.-Les ressources de l’établissement public de coopération culturelle et environnementale prévu à l’article L. 1431-1 comprennent les ressources issues des contrats conclus en application de l’article L. 412-10 du code de l’environnement. »

(5) Loi EROM, art. 78 :

« Art. L. 7124-21.-Le conseil d’administration de l’établissement public prévu à l’article L. 7124-19 est composé, outre son président, de :

« 1° Un tiers de représentants du grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges, désignés en son sein ;

« 2° Un tiers de représentants de la collectivité de Guyane, des autres collectivités territoriales ou de leurs groupements ou d’autres établissements publics locaux ;

« 3° De représentants de l’Etat ou de ses établissements publics ;

« 4° De représentants de fondations ou d’associations concernées ou d’autres personnalités qualifiées.

« Le président du conseil d’administration est désigné par arrêté du représentant de l’Etat en Guyane, sur proposition du grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges.

« La durée du mandat du président et des membres du conseil d’administration est de trois ans, renouvelable une fois.

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