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Crise identitaire de la jeunesse en Guyane

3. Peuples Autochtones| Views: 1131

Festival Alternayana 2022 : Retours sur la conférence « Jeunesse et éducation : Quelles réponses à la crise identitaire ?”

Du vendredi 3 juin au dimanche 5 juin 2022, l’éco-festival Alternayana 2022 deuxième édition, organisé par le GRAINE Guyane*, s’est déroulé au cœur de Cayenne dans le Jardin Botanique. L’objectif de l’événement: préserver et sublimer l’altérité guyanaise et sa biodiversité amazonienne. Axés sur le respect de la nature et sur les alternatives durables et éco responsables possibles. Ces trois jours de festival ont permis de rassembler 6 500 participants et une soixantaine d’associations et d’acteurs locaux pour penser, ensemble, une société nouvelle, plus juste, plus inclusive et plus équitable.

Tout au long des festivités, les rencontres foisonnent aux divers ateliers, concerts, tables rondes et conférences organisées. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’émotion que la dernière conférence, portée sur “la jeunesse et l’éducation: Quelles réponses à la crise identitaire?”, vient clôturer ces quelques jours de temps d’échanges. Elle aborde l’effet de l’éloignement des infrastructures scolaires, la rupture que cela crée avec la famille et l’absence de prise en compte de la culture traditionnelle dans l’éducation française. La conférence aborde ainsi les actions déjà mises en place qui permettent d’accompagner les jeunes dans leurs avenirs, comme celles proposées par les associations Effet Morpho et Osons Ici et Maintenant. Elle montre aussi la mise en œuvre de la formation continue d’Intervenants Langue Maternelle (ILM) pour accompagner et connecter les jeunes à leur langue maternelle, et ainsi, pallier la crise sociale et identitaire. 


Nous décidons aujourd’hui de prendre le temps de mettre des mots sur ces maux qui s’emparent des peuples autochtones guyanais. Pour comprendre la crise identitaire vécue par la jeunesse guyanaise, il faut la situer dans son contexte et réaliser l’indifférence de l’État français vis-à-vis des populations autochtones (I). Puis nous verrons les solutions proposées lors de cette conférence pour pallier cette crise identitaire. (II)

*Le Graine Guyane est une association créée en 1999 qui a pour but de constituer un réseau d’individuels, de structures et d’établissements scolaires sur l’ensemble du territoire guyanais. L’objectif, travailler ensemble à la promotion du développement, de l’éducation à l’environnement et au développement durable (EEDD)

Contexte des populations autochtones guyanaises

Couverte à 90% de forêt, la Guyane française est une parcelle d’Amazonie à forte diversité culturelle. En plus de regrouper entre 6 et 7 nations  autochtones selon certaines revendications, dont les Kali’na, les Wayana, les Apalaï, les Palikur, les Wayãpi, les Teko, les Lokono-Arawak , on retrouve des bushinengués, des créoles, des populations immigrées du Surinam, ancienne Guyane Hollandaise, mais aussi d’Haïti, ancienne colonie française devenue indépendante en 1804. On retrouve aussi les “métros”, terme désignant les personnes venues de France métropolitaine. En bref, la Guyane est constituée d’une dizaine d’ethnies différentes vivant sous le même drapeau français mais en Amérique du Sud.

Même si son éloignement géographique de la France métropolitaine n’est pas moindre, environ 8 000 km, elle est sujet aux mêmes réglementations parisiennes. En France, tous les citoyens sont égaux, du moins sur le papier, même lorsqu’on vit en Amérique du Sud et qu’on hérite d’une culture et d’un mode de vie différent des standards occidentaux. En Guyane française, quelques-unes de ses ethnies, dont les autochtones et les bushinengués, induisent des modes de vie et des perceptions très spécifiques aux communautés amazoniennes, fondées il y a peu de temps encore sur un équilibre entre l’homme et la nature. Certains pays, dont le Brésil, ont reconnu la spécificité de ces modes de vie et leur ont accordé une législation différente de celle instauré par l’Etat en signant la convention 169 de l’organisation internationale du travail (OIT). La France est l’un des seuls pays à refuser de signer cette convention au nom de l’indivisibilité de la République et de l’unicité du peuple français. Dans un souci d’alignement aux normes de l’hexagone et aux valeurs républicaines, les applications administratives provoquent des ajustements incongrus à une réalité « exogène » et  aboutissent à la déstabilisation des communautés, allant jusqu’à leur déstructuration et le délitement des identités culturelles traditionnelles.

Zoom sur l’effet de francisation

Dans une volonté d’homogénéisation aux valeurs de la république, l’attribution de la citoyenneté française obligatoire, et ses processus de francisation, furent appliqués sans grande réflexion, et dans le déni des réalités culturelles et naturelles. Sans nuance ni examen des spécificités, ce système est venu se greffer sans douceur dans les petites communautés sur lesquelles il a aujourd’hui encore des conséquences néfastes. L’influence extérieure du modèle de société français (école, organisation sociale, consommation, …) crée un nouveau système de valeurs qui détériore les rapports intracommunautaires créant une fracture entre les nouvelles générations et les anciennes. Ainsi, les instances coutumières sont-elles en crise de légitimité face aux jeunes, partagés entre tradition et modernité. De la même manière, les structures hiérarchiques familiales et communautaires sont affaiblies face aux influences extérieures. S’ensuit la création d’un imaginaire collectif qui dévalorise le milieu naturel et culturel et promeut un modèle exogène, hors sol.

Ces mécanismes combinés ont provoqué le bouleversement des modes de vie traditionnels et impacté l’ensemble des aspects sociaux, culturels et identitaires des populations autochtones. En peu de temps, une crise identitaire violente s’installe, en particulier chez la population autochtone de l’intérieur, au point de créer un mal être qui a des effets mortifères sur ces communautés, comme en témoigne l’indice de suicide des jeunes très élevés – on compte 20% de suicide en plus dans cette région française

Conférence du 5 Juin 2022, Alternayana 2022:
Jeunesse et éducation : Quelles réponses à la crise identitaire ?

Les liens étroits qui relient les communautés autochtones, leurs territoires et leurs identités culturelles font de ces populations des acteurs majeurs de la préservation des écosystèmes. Détenteurs d’un ensemble de connaissances et de savoir-faire traditionnels, ils entretiennent des systèmes de gouvernance et de valeurs coutumières qui jouent un rôle essentiel dans la gestion durable de la forêt, de la préservation de ses cycles naturels, et de l’enrichissement philosophique et spirituel de notre perception du vivant. Dans le cadre du festival Alternayana, axé sur la proposition d’alternatives à la société capitaliste de sur-consommation occidentale, la place des peuples autochtones se fait essentielle dans la voix de reconnexion avec la nature. Ce cheminement ne peut se faire sans la jeunesse mais, comme nous venons de le voir, celle-ci vit depuis quelque temps une crise identitaire liée au processus de francisation particulièrement présente dans le système éducatif français. 

Le rôle de l’école dans la crise identitaire et dans la perte de connaissances traditionnelles

Dès les premières minutes de la conférence, les récits de parcours de vie de jeunes guyanais.es viennent toucher les auditeurs et témoignent du rôle destructeur joué par l’école sur les communautés autochtones. Hugo Zidoc et Tania Pilolo nous racontent les heures de pirogue qu’ils ont dû traverser pour se rendre dans un établissement scolaire, aussi bien sous la pluie diluvienne que sous le soleil ardent, le besoin d’argent qu’ils ne possèdent pas pour payer le matériel scolaire et le transport, en sachant que le service des transports guyanais est tout sauf ponctuel et rigoureux, et reste rare et excessif, ajouter à cela le fait que les familles amérindiennes sont grandes et qu’il faut déverser cette même somme d’argent pour chaque enfant de la fratrie, l’éloignement radicale et douloureux vécu lors de ces temps d’absence, qui durent la plupart du temps un trimestre à partir du collège à cause de la distance trop grande et trop coûteuse à parcourir, la perte de leurs identités culturelles et de leurs patrimoines familiales à cause de l’absence de pratiques traditionnels à l’école et de l’éloignement familiale induit par la distance, le décalage qui se crée entre eux et leurs parents qui ne comprennent pas les envies d’ailleurs des jeunes, la discrimination vécue dans la cours de récréation… La liste est longue et sûrement bien plus personnelle pour chaque jeune vivant ce parcours du combattant qu’est l’école.

Comme vous l’aurez compris, faire partie d’une population autochtone française de nos jours n’est pas facile. C’est être tiraillé entre deux mondes diamétralement opposés. D’un côté le rêve d’un ailleurs plus riche et séduisant mais très élitiste, dit moderne, et de l’autre, celui d’une réalité dure, mais qui met en valeurs des savoirs traditionnelles de plus en plus rare et primordiale dans le besoin d’éco-préservation, d’agriculture durable et de droits de la nature.

Quelques dynamiques lancées par des associations pour pallier la crise identitaire 

Dans toute cette masse d’information et d’enjeux lourds, certaines associations et groupement scolaire proposent des solutions pour pallier cette crise identitaire. Lors de la conférence: “Jeunesse et éducation : Quelles réponses à la crise identitaire ?”, les associations Effet Morpho, Osons ici et Maintenant et les accompagnateurs du programme Intervenant en Langue Maternelle (ILM) prennent la parole et montrent un avenir possible pour ces jeunes en difficultés et un accompagnement spécialisé au territoire guyanais.  
Ichi Kouyouli, animatrice de l’Effet Morpho, Adem Yahiaoui, éducateur spécialisé de l’Effet Morpho, et Raphaëlle Rinaldo, coordinatrice régionale de Osons Ici et Maintenant prennent la parole pour nous expliquer davantage les actions menées par le milieu associatif et les problématiques auxquelles ils sont rencontrées. Ces deux associations mettent en place des ateliers et des séjours de plus ou moins longue durée pour permettre aux jeunes de trouver leur place dans cette société. Ils leur permettent d’entrer d’une façon différente et bienveillante dans ce système en proposant des services d’écoute, en les guidant dans les organismes déjà présents comme la mission locale et en les accompagnants dans leurs projets personnels et professionnels.

Zoom sur l’association Effet Morpho:

“ L’Effet Morpho est une association d’éducation populaire qui situe son action dans une double perspective de transformation sociale et d’émancipation individuelle et collective. Elle vise à rechercher et à favoriser les actions innovantes pour l’épanouissement des jeunesses en accompagnant les collectifs et les petites associations qui animent les territoires dans leur démarche d’initiative, de création et d’expérimentation. L’Effet Morpho porte des projets d’innovation sociale qui développent les habiletés en favorisant l’implantation d’initiatives et de solutions novatrices pour répondre aux besoins non couverts sur les territoires.”


Extrait de leur site internet : L’Effet Morpho – Association D’éducation Populaire En Guyane (l-effet-morpho.org)

Zoom sur l’association Osons Ici et Maintenant: 

Osons Ici et Maintenant est une association guyanaise fondée en 2014.

D’après eux : “le monde a besoin, plus que jamais, que les individus osent révéler leur potentiel et développer leur engagement et capacité d’agir dans leurs écosystèmes (familles, territoires, organisations…). Le premier public à activer : les jeunes, parce qu’ils sont l’avenir et ont besoin de trouver leur place dans ce monde.”

C’est dans cette démarche qu’il accompagne des jeunes du territoire français mais aussi guyanais à se développer malgré la difficulté rencontrée.  

Leur mission : “créer et accompagner le déclic pour que les jeunes de tous horizons osent déployer leur potentiel, s’insèrent durablement et construisent demain.”



Extrait de leur site internet Osons Ici et Maintenant : Mobiliser & Accompagner les Jeunes

De façon générale, la crise identitaire vécue par les jeunes autochtones de Guyane est corrélée avec l’absence de reconnaissance des peuples autochtones par l’État français. Bien que des associations aident à préserver et maintenir leur identité, le manque de reconnaissance se fait cruellement ressentir, notamment dans le domaine éducatif comme nous venons de le voir. Pour remédier à ça, un programme d’intervenants en langue maternelle (ILM) a vu le jour depuis 1998 dans le système scolaire.

Zoom sur le programme Intervenant en Langue Maternelle (ILM)

“Les ILM ont pour mission d’aider les élèves à s’approprier l’école, de leur donner la possibilité de développer la maîtrise de leur langue maternelle et de valoriser leur culture afin de faciliter le développement de l’estime de soi et l’acquisition du français. Le patrimoine linguistique et culturel de l’élève accède au statut de matériel didactique. Au travers de la transmission de connaissances patrimoniales, l’élève accède à des compétences scolaires transversales et/ou universelles. Le bilinguisme n’engendre pas de risque cognitif à condition que l’institution scolaire valorise ce bilinguisme. Lorsque la promotion des langues maternelles est organisée, elle participe même à la réussite scolaire en favorisant une première expérience du langage non conflictuelle. A l’inverse sa dévalorisation affecte les comportements et crée de la mésestime de soi.”


extrait du livret de l’intervenant en langue maternelle, 2015.

Daniel François, responsable de la formation continue Intervenants Langue Maternel, intervient dans le cours de cette conférence et nous transmet son retour sur le programme ILM. Il témoigne de l’absence de moyens donnés par l’Etat pour mettre correctement en place ce dispositif. Tous les établissements scolaires de Guyane ne disposent pas d’intervenants et lorsqu’on en trouve dans certains établissements, leur cadre de travail n’est pas optimal à cause du manque de moyen. Les ILM peuvent être situés dans un couloir, ou dans une salle non homologuée car le manque de budget, et par conséquent de classe et d’espace fermé, ne peuvent leur permettre de posséder un lieu clos pour leur intervention. 

Certains établissements bénéficient cependant correctement du dispositif et s’accompagnent d’une réelle amélioration chez les enfants. Il est plus facile pour eux d’exceller dans le système scolaire car leur identité est enfin prise en considération. 

Aulagua Thérèse, directeur de cabinet du maire de camopi, insiste sur l’importance des communes et des actions publics de se saisir de ces enjeux pour, à la fois, être un appuis  aux structures associatives et proposer une approche plus globale et plus accessible à l’ensemble du territoire. Il faut que ce soit un travail de groupe si l’on veut accompagner ces jeunes. 

Synthèse

La Guyane française est un territoire complexe où le phénomène de francisation est très imprégné dans le système éducatif. La faille créée par la dichotomie moderne-traditionnelle fait naître une crise identaire remarquable chez la jeunesse autochtones et s’accompagne d’un taux de suicide bien plus élevé dans ce terroire français. Ce sujet est particulièrement tabou et peu reconnu par l’Etat français mais la présence de cette conférence dans le festival Almternayana 2022 permet de mettre en valeur la jeunesse autochtones et les associations qui tendent à une réappropriation culturelle et au besoin de trouver la place de la jeunesse autochtones dans un monde occidentalisé.

La conférence garde d’ailleurs le souvenir figé de Dieuferson Eliacin, un jeune ayant participé à un atelier de trois jours proposé par Osons Ici et Maintenant, communicant haut et fort qu’avec cette association, le temps d’un atelier de trois jours, il a appris qu’il ne faut pas abandonner, qu’il faut continuer à se battre et ne pas écouter ceux qui ne croient pas en nous. 

Un grand Merci pour cette belle clôture de festival, et la mise en évidence de la crise sociale et identitaire parcouru par la jeunesse autochtone. Félicitations aux jeunes participant.s.es pour le courage dont ils ont fait preuve pour s’exprimer, ainsi qu’à l’ensemble des participants nous permettant de mieux saisir les enjeux et nous insufflant l’espoir d’un avenir meilleur qu’il est possible de construire maintenant et ensemble. 

Ecrit par Anna-Louna Lehoux

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